La Miroiterie, l’histoire d’un petit endroit unique qui ne sera bientôt plus.

Je vous présente la Miroiterie, au cœur du New Ménilmontant, au 88 rue du même nom. Entrée libre, conso prix planché. Et tout le monde peut venir y jouer. Enfin… jusqu’au 15 octobre, date à laquelle ses habitants seront expulsés.

La découverte.

Guillaume est chercheur en physique. Ce n’est pas vraiment l’archétype du punk à chien ou du crevard des concerts. Il a son petit passé militant et l’attrait pour les lieux alternatifs, mais il ne court pas les free party et les mouvements Occupy. Quand en 2008 il nous a invité Julien et moi pour assister à une « Jam Session » à la Miroiterie, nous ne savions pas dans quoi nous allions tombés. Guillaume nous a vendu le lieu comme ceci : insalubre, aux odeurs de cubis 3 ans d’âge, mal éclairé… mais une ambiance terrible.

L’émerveillement

Arrivés sur place, nous sommes instantanément tombés amoureux de cet endroit. Un petit passage aux murs bigarrés donnant sur une cour toute mignonne façon masé de Provence, puis une pièce faisant office de salle de concert. Des habitués de tout âge, toute origine, même si certains diront qu’il y a plus de bobos que de prolos, plus d’électeurs de gauche que de droite. En même temps, je rencontre assez rarement des ouvriers de droite s’intéressant aux impros jazz.

Libère ton chakra

Ce qui s’est passé dans ce lieu tient de la magie. Des musiciens des quatre coins du monde sont venus jouer ici. J’aime Paris, ses bistrots et ses salles de concerts, mais la Miroiterie c’est autre chose. Déjà c’est un squat. Donc un projet un peu alterno pas très marchand avec une démarche pas vraiment basée sur la rentabilité pour simplifier. Mais c’est aussi un projet culturel différent. Celui d’une salle de concert conviviale, hétérogène et accessible à tous. Ça peut vous sembler être une espèce de bullshit de bobo de merde, mais cet esprit se ressent sur place. Les gens se donnent. Le public est sympa. Tout le monde est bien, la transe arrive vite. A la Miroiterie, après deux trois verres de fond de cubis à 2€, on part en vrille sur du free jazz.

Intime, mais pas fermé.

Je ne connais pas personnellement les gens de la Miroiterie. Ni Charlotte de Jésus et Benjamin Sanz, les organisateurs des Jam Session du dimanche soir, ni les habitués. En tout et pour tout, j’ai du y aller cinq fois. Mais la disparition de ce lieu me chagrine au plus haut point. Déjà je trouve ce lieu magnifique. Les couleurs, la végétation, les canapés déchirés, la décoration façon art récup’. Il y a toujours cette impression d’être ailleurs de Paris quand je rentre à la Miroiterie. Nous avons besoin d’avoir des lieux comme cela à Paris. La Miroiterie, ce n’est pas 50, 100, 200 habitués, ce sont des milliers et des milliers de sympathisants, venus de partout dans le monde, pour passer une bonne soirée.

Il y a du talent chez ces gars

Et en général, elle est bonne la soirée, car les musiciens qui s’y pointent, c’est pas du chiqué. Elle se découpe en deux parties. De 20h à 21h des invités, souvent variés. Du jazz contemporain, du free jazz, du jazz à papa, de la musique guinéenne, ou d’autres pays d’Afrique de l’ouest, des accents arabes et berbères, de l’électro parfois, et du hip hop, la scène est complètement hétéroclite. Viens ensuite une pause, puis le démarrage de la Jam. Dans le lot, tu vas toujours avoir un gars qui sert à rien, on n’entend pas son instrument ou il est bloqué sur son rythme. Mais ce n’est pas bien grave, ça fait partie de l’ambiance.

Parmi les personnalités remarquables de la miroiterie :
- Benjamin Sanz à la batterie
- Mehdi Chaïb au sax ténor, bendir, carqabs, percussions
- Rasul Siddik à la trompette
- Aymeric Avice à la trompette
- Rafael Paseiro à la basse
- Boris Blanchet au sax
- Gregory Privat au piano
- Hervé Samb à la guitarre
- Rai Fernandez Bonini aux percussions
- Ousmane Keita au kamalé ngoni
- Matthieu jerome au piano
- Naïssam Jalal à la flute
- Et bien sûr Dgiz, le rappeur/slammeur le plus rapide du monde à la voix et contrebasse

Et des dizaines d’autres que je n’ai pas entendus, dont je n’ai pas retenu le nom, qui ne se sont pas présentés. Ce sont des musiciens professionnels qui ont l’habitude de jouer dans des environnements certainement beaucoup plus classe que la Miroiterie, mais il faut croire que l’esprit Jam prend le dessus des odeurs de vinasses, et que le charme de ce lieu n’est pas si légendaire.

L’après Miroiterie

Hier à la Miroit’, j’ai pris toutes les photos que je pouvais, pour garder des souvenirs. La destruction des lieux entrainera la disparition de toutes les œuvres sur place. Il faut que je puisse me remémorer tout cela. Résister à l’expulsion ? Les gens qui gèrent le lieu semblent résignés. Certainement fatigués par une lutte vieille de plusieurs années. A la mairie, tout le monde s’en fout. Ils n’ont pas compris l’unicité de ce lieu. Ils n’ont certainement pas virevolté sur du free jazz aux accents africains. Ils ne savent à quel point ce lieu compte. Cet endroit, c’est une partie de l’identité parisienne, c’est l’âme de Ménilmontant. Il n’est pas remplaçable. Il n’y aura pas d’après Miroiterie. Mais oui, c’est aussi la réalité des squats. On sait que tôt ou tard, les propriétaires voudront reprendre possession des lieux, ce qui est logique et normal, et on doit composer avec cela.

Cependant, vu l’ampleur que celui-ci a pris depuis 2005, peut-être que la mairie aurait pu essayer de racheter les lieux, et laisser vivre le projet en tant qu’expérience culturelle ? Ça n’aurait surement pas couté grand-chose… A vrai dire, je ne sais pas s’il existe encore des leviers politiques et juridiques ou des gens qui pourraient revenir sur les décisions prises. Mais en l’absence d’informations supplémentaires, si vous voulez en profiter c’est maintenant ou jamais.

Quand ?

Tous les dimanches avant le 15 octobre, ouverture à 19h, première partie à 20h Jam session vers 21h. Prix libre, dans un petit chapeau comme à la messe. Plus d’infos sur les Jams Session sur Facebook..
Concerts divers et variés les autres jours de la semaine.

D’autres photos :

  • Sur mon compte Google Plus
  • Sur le compte Facebook d’Alain Gripoix
  • Sur le blog de Charlotte de Jésus
  • NB: Comme signalé par PierreM, il n’y a pas que les jams du dimanche soir à la Miroiterie. Mais je connais mal la scène punk et les autres activités du lieu, donc je préfère laisser les autres partager leurs expériences, que je relaierai avec plaisir ici si on me donne les liens.

    8 Comments on "La Miroiterie, l’histoire d’un petit endroit unique qui ne sera bientôt plus."

    1. Julien dit :

      Merci encore à l’équipe des jams pour toutes ces soirées fabuleuses. Je me rappellerai en particulier très longtemps du fabuleux concert d’Iswhat?!…

    2. chOof dit :

      Snif snif

    3. pierrem dit :

      trop bizarre de voir évoquée la Miroit’ comme un club de jazz limite bobo…
      c’eut été intéressant pourtant de mentionner que 6 jours sur 7 ce sont des concerts de punk qui y ont lieu.
      évidemment, pour les jazzmen, le punk n’est pas une musique. Notez qu’en revanche on vous invite de temps en temps…
      merci quand même, sinon ;)

      • admin dit :

        Je ne suis jamais allée qu’aux jam, pas de soucis avec le punk (vraiment), mais je ne parle que de ce que je connais !
        Libre à toi d’en parler avec ton expérience personnelle.

      • admin dit :

        Et j’ai pensé à faire un petit paragraphe sur autre chose que les jams, mais j’y connais tellement rien… j’avais peur de dire des conneries :)

      • Tiziano dit :

        Je suis un jazzman, et j’aime aussi le punk (même que des fois, il m’est arrivé d’en jouer, argh !). Dois-je me faire soigner ?

        Sinon, les sur-boules pour ce qui est de la disparition de la Miroit’…

    4. Sick dit :

      Nous avons une culture, notre culture.
      Une culture qui n’appartient pas à une élite intellectuelle.
      Une culture qui ne correspond pas à un genre musical défini et formaté, ni à un style vestimentaire ou littéraire médiatisés et bien arrêtés.
      Une culture qui se doit de ne pas se préoccuper des genres et qui se fout de la couleur d’une peau, la longueur des cheveux ou de la forme d’un nez.
      Une culture qui ne passe pas à la télé et si peu à la radio mais qui pourtant possède ses propres journaux.
      Elle n’a pas de pays et elle traverse les générations.
      Ce n’est pas une culture du cloisonnement et des frontières, mais une culture du partage et de la différence.
      Elle appartient à la foule, aux individus et à la rue.
      Elle est faite de bruit, de musique, de paroles, de pigments.
      Sur des murs, du papiers, des K7, des CD, des vinyles et des clés USB…
      Elle gueule, elle crie, elle frappe, fait mal, se blesse aussi elle même, mais c’est parce qu’elle est bien vivante et que c’est une culture de liberté.
      Elle n’est pas cotée en bourse, elle n’obéit pas à un objectif de rendement ou aux dividendes des actionnaires et encore moins aux goûts des consommateurs via des QCM online…
      Elle n’a pas besoin d’une étude de marché pour pouvoir exister.
      Non, elle a juste besoin de toi, de moi, de vous, de nous.
      Et surtout, surtout de lieux comme celui-ci.
      De lieux où on peut créer, parler, s’exprimer, se rencontrer, s’engueuler, se foutre sur la tronche, voir se réconcilier (ou pas), tisser des liens, avoir des projets.
      Mais ce lieu, et beaucoup d’autres, comme d’autres avant, va fermer.
      Un proverbe africain il parait, dit qu’un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui crame.
      Moi je vois surtout qu’un squat qui ferme, c’est l’imprimerie, l’atelier, le musée, le jardin, le zoo, la cantine, le cinéma, la librairie, la cuisine, le banc public, le jardin, la salle de concert, de théâtre, la scène, l’asile, le refuge, l’abri qui tous ensemble partent en cendres…
      Un squat qui ferme, c’est comme 100 prisons qui ouvrent…
      C’est notre culture et donc nos vies qui sont en danger, qu’il faut défendre et protéger.
      Car cette culture, notre culture vaut contre tous les revolvers et les bruits de bottes.

      Parce que derrière ces murs, derrière leur paperasses, leurs cravates, leurs télés, leurs discours et leurs bureaux, leur culture est bel et bien une culture de fric, de peur, de silence et finalement de mort.

      Sick Ender.