Disclaimer : N’étant pas parvenue à récupérer un double du NDA (contrat de confidentialité) signé au début du séjour, j’ai choisi de ne citer à aucun moment le nom de la marque. Si toutefois des représentants venaient à se sentir blessés par mes propos, je voudrais par avance présenter toutes mes excuses à la filiale française qui se décarcasse depuis 2 ans pour organiser de superbes évènements et qui n’a rien à voir avec ce qui suit. Mes sincères excuses également à une personne, en Corée, que je respecte énormément et qui j’espère se reconnaitra.
En 2010, j’ai commencé à participer en France à un programme de communication d’une grande marque coréenne. Pendant 2 ans, j’ai joué le jeu avec grand plaisir, participant à de nombreux évènements locaux visant à promouvoir la marque. Notre rôle était d’écrire de courts articles, sans obligation d’encenser la marque, en l’échange de cadeaux et soirées VIP. Ce programme existe aussi dans de nombreux pays, mais sous différentes formes.
Dans le cadre des jeux olympiques de Londres, cette marque a donc organisé un évènement international regroupant différents ambassadeurs du monde en entier avec à la clé : la promesse d’un voyage à Londres tous frais payés, pour vivre les jeux de l’intérieur.
Pour choisir les heureux gagnants, elle organisa un concours. Le but était de promouvoir une fonctionnalité d’un de ses appareils via une ou plusieurs vidéos. Les critères de sélection étaient entre autre le nombre de vue et l’originalité du contenu.
Ça me semblait accessible et j’étais assez enthousiaste de venir à Londres pendant les jeux olympiques, j’ai donc soumis deux vidéos.
Le 30 mars dernier je reçois ceci :
HOLLY SHIT I WON !
Et quelques mois plus tard, me voilà en route pour Londres, avec aucune autre info qu’un numéro de vol, l’adresse d’un hôtel et quelques informations sur la répartition des ambassadeurs.
Déjà, une petite appréhension s’installe. Nous sommes splittés en 4 groupes. Le mien est un peu différent, moins mixés que les autres. Voici sa composition :
4 chinois (2 ambassadeurs + 2 invités)
une thaïlandaise
une française (moi-même)
Forcément, je crains des problèmes de communication et un isolement. Cette inquiétude, je la trouve maintenant tellement ridicule par rapport à ce qui suit…
Deuxième jour, le briefing
Sur place, on nous informe finalement que nous aurons des missions (passionnantes) à effectuer. Jugez plutôt :
Balancer le maximum de contenus mettant en avant la marque sur Twitter, Facebook, et tous les réseaux sociaux possible
Aller dans chacun des shops éphémères de la marque, pour recueillir des impressions des visiteurs sur les produits
Se faire prendre en photo devant des affichages publicitaires de la marque
Chaque soir un rapport avec des questions comme « qu’avez vous fait aujourd’hui, que ferez-vous demain ? » devra être rendu avant 23h et les interviews des visiteurs des shops devront être envoyés à la fin du séjour.
Intéressant d’ailleurs ce rapport à rendre à 23h. Etant donné que nous partions manger tous ensemble le soir vers 18h30-19h, et que nous revenions à l’hôtel à 21h-22h30, ça nous coince dans notre chambre d’hôtel pendant une petite demi-heure. L’envie de sortir alors que le boulot reprend tôt le matin n’est pas folle. Pas de fiesta donc avec les ambassadeurs. D’ailleurs, l’alcool n’est pas autorisé aux restaurants. Ce qui ne m’a pas empêché de commander du vin à tous les repas… Je suis française, merde
Intéressant aussi car si finalement nous nous décidions à sortir, nous avions la surprise de croiser le staff de l’agence à l’entrée. Ils ne quittent pas les lieux tant que tous les rapports n’ont pas été envoyés. J’imagine que ce flicage, c’est pour notre sécurité. Faut-il alors préciser que nous n’avons plus 15 ans ?
Troisième jour, le travail commence
Et l’ennui s’installe déjà. Les missions ne sont pas passionnantes, je ne sais pas quoi envoyer de franchement sexy sur mon compte Facebook et Twitter pour parler de l’évènement sans ennuyer mes amis. Je suis aux JO, mais où sont les JO ?
Il m’apparaît aussi qu’on va devoir de se coltiner des encadrants sur tous les déplacements. Ils ne nous lâchent pas d’une semelle, et nous demandent de rester toujours ensemble, pour des raisons de sécurité.
Je ne suis peut-être pas la plus à plaindre : d’autres « gagnants » se retrouvent enfermés dans un centre commercial à faire des démos produits pour un salaire, pardon un « dédommagement » de 25£ par jour.
Je réalise aussi que les invités des deux ambassadeurs chinois sont assez embarrassés d’être là. On leur avait surement promis un voyage offert. Mais ils sont traités exactement comme les autres, doivent rendre un rapport séparé tous les soirs, et participer à toutes les activités.
Je vois une des invités pleurer dans la rue en silence, mais avec de vraies chaudes larmes qui ruissellent sur ses joues…
Quatrième jour, premières confrontations
L’agence décide de nous rajouter une nouvelle mission en plus des autres. Réaliser 3 vidéos mettant en valeur des fonctionnalités d’un des produits de la marque.
3 vidéos… en quoi, deux ou trois heures ? Nous n’avons même pas pensé à équiper nos PC de logiciel de montage. Cette mission qui aurait pu être intéressante, ne l’a pas été par manque de préparation. J’ai travaillé 1h à la réalisation d’une des vidéos, mais l’accompagnatrice a jugé l’idée mauvaise, sans me donner une chance de lui prouver le contraire. On a perdu 1h sur le planning. Mais la tournée des shops éphémères a déjà recommencé… Et c’est parti pour nouvelle marche forcée.
Sur un des shops, une coréenne prend ma caméra et me dit : « Maintenant je te filme, tu dis quelque chose pour tes amis, en français, et tu le mettras ce soir sur ton compte Youtube. » Euh… ouai ? Je dis quoi ? Ont-ils seulement idée de l’accueil que va réserver mes amis à cette vidéo ? On l’enregistre dans un brouhaha ambiant qui fait que par chance elle sera impropre à la diffusion.
La privation de liberté est telle que je commence à vraiment avoir du mal à voir le bon côté des choses, qui existe pourtant. Les jeunes ambassadeurs sont adorables, et malgré une grande fatigue, tout le monde semble faire un effort pour garder le sourire et profiter au maximum de sa présence à Londres.
Cinquième jour, des reproches injustifiées.
Mes cernes commencent à descendre au milieu des joues. Je dors vraiment mal. Bref, on nous renvoie dans un de ces shops que l’on connait déjà et où il n’y a rien à faire après avoir collecté les quelques goodies disponibles, toujours sous la houlette des encadrants.
A la pause de midi, on nous annonce deux heures de break. Wow, deux heures, tout seul ! A ce niveau, c’est le nirvana. On nous précise cependant que l’on doit manger le plus vite possible pour nous concentrer ensuite sur le partage de contenu sur les réseaux sociaux. Ma thaïlandaise en profite pour faire 20 minutes de shopping, histoire de pouvoir ramener un petit quelque chose à ses amis.
La pause est terminée et je perçois que quelque chose ne tourne pas rond avec la big boss du staff. Elle commence à réprimander ma petite protégée en lui disant que ce n’est pas le moment de faire du shopping. That’s serious business! Puis finalement, elle se tourne vers moi et essaye de froncer ses sourcils au maximum de ses capacités : « You did nothing !, You did nothing ! » commence-t-elle à répéter en boucle. J’avais pourtant, 10 minutes plus tôt, partagé sur Facebook une photo bien racoleuse. Moi-même, en train de faire du tea-potting, devant une publicité géante de la marque.
En lui montrant la photo, elle finit par se taire, et ne s’excusera jamais. En fait elle ne m’avait tout simplement pas rajouté dans ses amis Facebook.
Vraisemblablement vexée elle me demande alors d’aller sur le shop de la marque et de dire un truc en anglais devant les caméras, pour promouvoir le shop. Je ne sais pas quoi dire… je n’ai rien préparé car je n’étais pas au courant du projet. Performance forcément décevante.
Mais il ne faut pas trainer car la mission du jour ne fait que commencer. Nous devons faire des séries de photos de groupes sur au moins 5 OOH (publicités en extérieur). Grâce à la motivation du groupe et ma propre envie de nous bouger un peu les miches pour boucler ça le plus vite possible, nous arrivons à en faire 7. Le gars de l’agence nous annonce la bonne nouvelle, c’est bon vous êtes libre ! Oui enfin il est 17h30, merci de nous donner notre soirée. C’est trop, je n’en demandais pas tant…
Sixième jour, la goutte de vin qui fait lâcher mes nerfs
On devait visiter Londres, mais ils ont annulé l’activité à cause de la météo, car hier, il pleuvait. Ah. Mais il pleut toujours un peu à Londres non ? Du coup on nous enferme deux heures au Museum of London, un musée un peu ringard auquel on a vite fait le tour.
Mes amis chinois tirent la gueule. Pas de visite, pas de shopping, on s’assoit dans le musée et les langues se délient. Tout le monde critique la marque avec ses mots, parfois durs, souvent maladroits, méconnaissance de la langue oblige. Parmi eux, un ne peut plus s’arrêter de parler, on sent qu’il en a gros.
Ce soir au restau – un très bon temple de la junk food conseillé par un ambassadeur influent – je me lâche, je bois un peu trop, mais on est loin de la murge. La soirée « s’éternise » et c’est à 22h30 que nous revenons à l’hôtel.
A ce moment-là, je craque. Je décide arbitrairement de sortir pour profiter de ma dernière nuit à Londres tout en n’ayant pas fait mon rapport. Sauf que… ils m’attendent tous dans le lobby. Ils m’interpellent et je réponds que je n’ai pas l’intention d’écrire ce document. Je joue la provocation : « dites-moi simplement ce que je dois écrire pour que cela vous arrange. Je peux être malade, ou bourrée. Ou bien affirmez je suis une mauvaise ambassadrice qui ne respecte pas les règles. Partagez vos préférences et je rédige un e-mail. »
La personne avec qui je parlemente laisse tomber. Je m’éclipse. Mais j’aperçois alors que deux autres me suivent dans la rue. Eux, ils ne veulent pas lâcher l’affaire. Le ton monte vraiment haut et j’accepte alors de retourner dans la chambre écrire ce foutu rapport.
En redescendant j’aperçois qu’ils sont toujours plantés là. Ils me disent : « Tu n’as pas reçu le message ? Tu dois envoyer tes 5 interviews de passants, maintenant ». Je pête un cable. « Quoi ! Vous pensez vraiment que je vais remonter pour ce truc ! » Et je me casse.
Dans la rue je croise 3 autres ambassadeurs et je commence à raconter, un peu flippée, ce qui m’arrive. Et là que vois-je ? Une des coréennes, la plus spéciale de la bande, me suit à nouveau dans la rue. Alors je m’éclipse en trottinant, façon chat des rues. J’attends 1h avant de rentrer à l’hôtel. Je me sens seule, très fatiguée, et j’ai un peu peur de devoir rester dehors. Mais au bout d’une heure, à court de batterie, je décide de rentrer à l’hotel. Ouf, tout le monde est parti du lobby. De toute façon la soirée est foutue et je suis complètement dégoutée du séjour. Je rentre le lendemain.
Conclusion
Des jeux olympiques, nous aurons vu 2 matchs. Le deuxième jour, une semi-finale de tennis de table dans un stade en banlieue et le sixième, des éliminatoires de Volley-ball à Earls Court. Nous n’avons pas eu la chance d’approcher le stade olympique, ni de participer à quelconques autres manifestations festives en rapport aux JO. J’ai bien sûr eu aucune occasion de regarder la télévision. Le reste du temps, nous avons travaillé pour la marque, avec un encadrement permanent, oppressant, et une seule soirée de libre.
Le point évidemment le plus gênant fût la sensation surréaliste d’être prisonnière de quelque chose. J’ai également ressenti de l’indifférence voir du mépris à mon égard. Dans leurs yeux, je n’étais une enfant de 30 ans, dans un camp de travail aux activités futiles, et qui le dernier jour (et seulement le dernier), n’a pas respecté toutes les règles.
De plus, j’ai eu l’impression de faire mon maximum pour poster les meilleures photos possibles sur les réseaux sociaux les premiers jours, et de faire de vrais efforts pour m’occuper de mon groupe, alors qu’au départ bien sûr, je n’avais pas conscience que j’allais devoir travailler 8h par jour pendant 3 jours, et je n’ai pas signé de contrat de travail. J’imaginais un rôle de simple reporter relatant l’expérience sur les réseaux sociaux à ma façon, comme nous y avions été habitué.
En chemin, tout le monde a oublié l’essentiel. Nous étions au cœur d’un évènement exceptionnel. Il y avait tant à faire pour vivre cela au mieux, tout en travaillant intelligemment pour la marque. Des ateliers de créations de vidéos, des rencontres avec des membres du staff olympiques pour réaliser des interviews par exemple. En somme, participer à cette ferveur, tout en produisant du contenu de qualité.
[Edit 11/08/2012] J’insiste un peu plus sur le fait que la filiale française n’a rien à voir là dedans. Précision: le siège et l’agence de communication coréenne ne les ont pas mis au jus. Ils nous ont contacté « en direct ». Je me doutais du rôle de reporter que j’allais avoir, sans avoir l’information, mais pas de l’encadrement, des tâches supplémentaires, des horaires, des marches forcées et de l’esprit général.